La vie des États n’est pas immuable, bien au contraire ! La décolonisation, les unifications et les dissolutions d’États, les annexions et les sécessions transforment périodiquement la carte politique du monde. Ces éléments dynamiques de la vie des États bousculent les relations internationales.

Ce livre donne une analyse exceptionnelle de ces transformations et de leurs conséquences sur les relations interétatiques que l’on appelle communément « la succession d’États ». Les qualités incontestables de cet ouvrage résident dans le fait que pour la première fois une analyse systématique est menée sur la pratique des États anciens et nouveaux, sur les travaux de la Commission du Droit International, d’instances scientifiques internationales et ceux de la Conférence de Vienne de 1977-1978. Par une approche nouvelle, l’auteur a mis l’accent d’une manière approfondie sur le problème de la décolonisation, l’unification et la dissolution d’États et la sécession en couvrant un champ historique et géographique illimité. De plus, l’originalité de cet ouvrage est d’avoir mis en lumière tout particulièrement les conceptions des pays du Tiers Monde en la matière tout en les comparant à celles des États occidentaux et socialistes. Il est en effet important que l’ensemble de ces conceptions soient portées à la connaissance de ceux qui s’intéressent aux relations internationales.

Chapitre introductif. Évolution des thèses concernant le problème de la succession d’États

Optique de la CDI et évaluation de la Convention de Vienne de 1978.

Le but de ce chapitre introductif est d’étudier, dans une première phase, l’évolution historique des différentes conceptions de succession d’Etats proposées par la doctrine. Ceci débouchera sur une deuxième phase dans laquelle un essai de définition sera avancé. Enfin, dans une troisième phase, les tendances d’ordre méthodologique qui se sont manifestées lors de la codification et du développement progressif des règles de succession d’Etats seront dégagées, essentiellement à partir des travaux de la CDI.

1) Les principales théories de la succession d’Etats observées par la doctrine

Il est difficile de faire une classification et de résumer les différentes théories en matière de succession d’Etats1. Cela est dû à la complexité du sujet et à la variété des opinions proposées par la doctrine. Cependant, pour notre part, sans aller jusqu’à traiter dans le détail la totalité des thèses concernant la succession d’Etats, nous nous contenterons de présenter celles qui nous semblent les plus importantes. Elles sont principalement au nombre de trois.

La première est prônée par les théoriciens du droit naturel qui tendent à faire la confusion entre l’Etat et le domaine privé du prince2. Ils considèrent qu’en cas de succession, la disparition de l’Etat est assimilée à la mort physique du de cujus et que pareillement à l’individu, « l’Etat a un successeur qui continue sa propre personnalité »3. D’où la transposition pure et simple des règles de succession de droit privé au droit international4.

La deuxième théorie, connue sous le nom de « succession universelle de droit public », a été dégagée principalement par M. Huber5. Contrairement à la première, elle trace une frontière assez nette entre la succession de droit privé et celle de droit public. Cependant, elle a l’inconvénient de porter toujours en elle les séquelles du droit privé et d’admettre, comme la première, la transmission de la souveraineté.

Enfin, la troisième théorie résout le problème par la négative. Elle voit à travers la succession d’Etats une substitution de souveraineté et non une transmission. Examinons ces théories une par une.

A) La conception de la succession d’Etat les théoriciens du droit naturel

La formule générale de ce premier système est la suivante : lorsqu’il se produit une succession d’Etats, la disparition du prédécesseur est comparable à la mort du de cujus6. Ainsi, comme dans les rapports de droit privé concernant la succession universelle des individus, l’Etat successeur est considéré comme continuateur de la personnalité du prédécesseur et, de ce fait, il hérite par dévolution automatique de ses droits et obligations.

Le système que nous venons d’introduire est inspiré principalement d’une idée de Grotius exprimée en ces termes :

« C’est une maxime certaine de droit, que la personne d’un héritier est censée être la même que la personne du défunt, pour ce qui regarde la continuité de la propriété d’une chose, soit publique, soit particulière »7.

Plusieurs autres théoriciens8 du droit naturel ont aussi assimilé la succession d’Etats du droit privé. Cependant, comme l’ont affirmé d’éminents auteurs9, c’est F. de Martens10 qui a mis en relief les conséquences de l’application de cette théorie. Il a, en effet, précisé qu’« en principe, tous les droits et devoirs internationaux de l’Etat qui a cessé d’exister passent à son héritier, sans restriction » et que cela serait « trop scabreux de dire que ce dernier (le successeur) ne les accepte que dans la mesure où il peut les réaliser ! ». Néanmoins, à cette observation générale F. de Martens admet une exception, c’est le cas des « droits et obligations qui sont de nature à s’éteindre par le fait de l’annexion ». Ensuite, il va jusqu’à renier l’existence de la notion de succession sous bénéfice d’inventaire11 en matière de droit international. Par conséquent, dit-il « l’Etat qui hérite ne peut pas établir comme condition qu’il n’accepte que les engagements qui figurent à l’actif. Il faut qu’il accepte toutes les obligations et tous les droits de l’Etat annexé. Il doit prendre à sa charge:

        1. tous les engagements et traités internationaux,
        2. le domaine public, à savoir les établissements de l’Etat, les tribunaux, les postes, les villes
        3. l’argent et les propriétés du fisc ».

Pour comprendre la logique de cette théorie qui admet purement et simplement la transmission de la souveraineté du prédécesseur au successeur, il faut avoir à l’esprit qu’à l’époque il y avait confusion entre le domaine de l’Etat et le patrimoine personnel du prince12. A ce propos, c’est Gidel qui alla au fond des choses en soutenant que :

« … ces transferts de souveraineté comprenaient non seulement le droit de domaine évident et la propriété absolue des biens du souverain ou de l’Etat mais de toutes les terres particulières, la propriété et les services des sujets qui étaient transférés avec le sol, de la même manière qu’un propriétaire d’esclaves et de tout ce qu’ils possèdent eux-mêmes avec le titre qui confère la propriété de sa plantation »13.

Pour terminer, disons que le défaut de tout le système que nous venons de présenter réside, d’une part, au niveau de la transposition des principes du droit privé sur le plan de droit international public et, d’autre part, dans une vision purement théorique qui ne tient pas compte de la pratique internationale14. Tenant compte de ces faiblesses, une autre approche de la succession d’Etats a été faite : c’est la succession universelle de droit public.

B) Les théoriciens de la « succession universelle de droit public »

Dans ce deuxième système, les théoriciens rejettent la fiction de l’assimilation absolue de la succession de droit civil aux rapports qui naissent à l’occasion de la disparition totale ou partielle d’un Etat15. Ils n’entendent pas du tout abandonner l’idée de succession, mais lui donner un autre fondement.

C’est, en quelque sorte, toujours une succession universelle, mais essentiellement influencée par les règles de droit public. Par exemple, ils considèrent que la mort de l’individu n’a rien de comparable avec la disparition d’un Etat : l’individu, dès qu’il meurt, meurt à tous les points de vue, c’est-à-dire que non seulement sa personnalité juridique disparaît mais encore son corps matériel cesse d’exister. Par contre, l’Etat, lui, ne « disparaît pas entièrement par l’extinction, dans la mesure où subsistent au moins deux de ses éléments constitutifs, à savoir la population et le territoire […]. La succession entre Etats se justifie non par la disparition du prédécesseur, mais bien plutôt par sa survivance, sinon dans son individualité, du moins dans ses éléments constitutifs »16.

En d’autres termes, il n’y a que la personnalité morale qui prend fin mais l’Etat qui « meurt » ne disparaît pas totalement. Par conséquent, si effectivement le prédécesseur n’a pas réellement disparu, la logique veut que tous ses droits et obligations passent au successeur qui est censé recueillir simplement sa personnalité17.

En conclusion, ce deuxième système, profondément amélioré par M. Huber dans le cadre de la théorie dite de « droit social appliqué à la succession d’Etats »18 reste, malgré les nuances introduites, canalisé dans les références au droit privé19. Ce qui fait que malgré l’apport des principes du droit public, l’on est toujours en présence de l’idée de la transmission de la souveraineté20.

Par contre, à l’époque contemporaine, les théories en présence s’accordent avec unanimité pour affirmer que la souveraineté ne se transmet pas.

C) Avènement de la théorie négative

A l’époque contemporaine, les auteurs interprètent la mutation territoriale comme étant une substitution21 de souveraineté, car la souveraineté appartient proprement à l’Etat qui l’exerce et ne se transmet pas.

Pour les auteurs positivement allemands et italiens, Strupp22 et Cavaglieri23, le changement de souveraineté n’implique rien d’autre que la substitution d’une compétence à une autre. Ainsi, selon cette conception, on reconnaît à l’Etat qui devient souverain, un pouvoir discrétionnaire sans limite. C’est ce qui ressortit du projet de résolution soumis per Cavaglieri à l’examen de l’Institut de Droit International dans lequel il avançait que : « les obligations internationales de cet Etat (annexé), quelles que soient leur nature et leur source, disparaissent avec lui. L’Etat annexant ou nouveau n’est pas lié par les obligations internationales de l’Etat disparu, il ne peut être tenu responsable des actes accomplis par lui. Le même principe vaut pour les obligations découlant des traités internationaux […]. La seule exception admise se situe au niveau des traités liés directement au territoire incorporé, car il serait désirable que l’Etat annexant ou nouveau les maintienne en vigueur ou prenne des accords à leur égard, avec les Etats tiers qui ont conclu ces traités avec l’Etat disparu… »24.

Allant dans la même lignée, Strupp avait écrit lui-même qu’étant « partisan des théories de MM. Cavaglieri et Schönborn25, je définirai la succession d’Etats comme le retrait du pouvoir d’un Etat déterminé corrélativement à l’extension de celui d’un autre Etat, soit pour des raisons juridiques [cas de traités de cession], soit pour des raisons naturelles, en fait, mais auxquelles certaines conséquences sont attachées par le droit international public… »26.

En réalité, le principe négatif en matière de traités que nous venons de décrire était très utilisé à l’époque la signature des traités de paix de 1919 jusqu’à la fin de la seconde Guerre Mondiale et était surtout considéré comme étant la position « traditionnelle » acceptée par la majorité des auteurs jusqu’à une date récente27. Faisant le bilan des différentes théories de la succession d’Etats, le Professeur Ch. Rousseau s’est déclaré favorable à cette dernière analyse28.

Le troisième système que nous venons d’exposer découle de l’influence de la conception positiviste-volontariste de droit de gens. En effet, en se détachant du droit naturel et de la méthodologie de droit privé les volontaristes ont développé de nouvelles idées sur la succession d’Etats. Leur théorie consiste à soutenir que toutes les règles du droit international sont le produit de la volonté des Etats qui composent la communauté internationale. Cela signifie, d’après cette construction, qu’un pouvoir discrétionnaire est reconnu à l’Etat successeur d’agir non seulement sur le plan interne mais aussi en ce qui concerne ses relations extérieures et, de ce fait même, il a la liberté de nier l’existence d’une règle de succession obligatoire29.

Nous avons limité notre étude aux trois principales théories classiques30 parce qu’elles mettent en évidence l’évolution historique du problème de la succession d’Etats.

2) Essai de définition

A la lumière de ce résumé du débat théorique, il convient à ce stade de dire ce qu’on entend par succession d’Etat.

Le terme de succession évoque la succession à laquelle on est habitué en droit civil, c’est-à-dire « un terme juridique et une institution juridique qui désignent la dévolution automatique de droits et d’obligations d’une personne à une autre par l’effet de la loi, lorsque survient un évènement tel que la mort, et dans tous les systèmes, le successeur se voit accorder la faculté de renoncer à la succession »31. En est-il de même pour la succession d’Etats en droit international ?

Tout d’abord si l’on analyse la doctrine l’on voit qu’elle a décelé une différence fondamentale : si la succession en droit civil est volontaire32, elle est par contre involontaire en droit international, « le droit ou l’obligation du successeur de se tenir pour substitué au prédécesseur s’impose soit envers ce dernier s’il en s’éteint pas, soit envers des tiers, sujets de droit international, qui ont l’obligation ou le droit de considérer le premier comme le successeur du second »33.

Le professeur Kelsen avait déjà confirmé cette idée en observant qu’en droit international « la succession juridique en ce qui concerne les dits droits et obligations du prédécesseur passent au successeur même sans la volonté de ce dernier, voire contre sa volonté… »34.

Par contre la CDI et la Convention de Vienne de 1978 sont allées plus loin que la doctrine dans la recherche d’une définition de la succession « succession d’Etats » s’entend de la substitution d’un Etat à un autre cession. Cette nouvelle définition consiste à établir une très nette distinction entre, d’une part le fait de la substitution d’un Etat à un autre dans la responsabilité des relations internationales d’un territoire et, d’autre part, la transmission de droits et d’obligations conventionnels de l’Etat prédécesseur à l’Etat successeur. C’est pour préciser la différence entre ces deux notions que l’on a abouti à l’article 2, alinéa b de la Convention qui dispose que « l’expression succession d’Etats s’entend de la substitution d’un Etat à un autre dans la responsabilité des relations internationales du territoire »35. Ce qui excluerait, au sens des travaux de la CDI et de la Conférence de Vienne (1977-1978), de la définition « toutes les questions relatives aux droits et obligations en tant que conséquences juridiques accessoires de ce changement »36. Etant donné que cette dernière définition a été retenue par la CDI et en conférence, nous tenterons de la respecter dans notre développement.

Maintenant que la définition est posée, voyons les principaux courants relatifs à la succession qui se sont manifestés à la CDI.

3) La CDI et la manifestation des principaux courants de pensées

Nous examinerons dans cette rubrique, successivement la tendance des juristes occidentaux et latino-américains, des juristes afro-asiatiques et ceux des Etats socialistes. Notre choix est motivé par l’intérêt de déceler ces principaux courants qui reflètent la réalité des relations internationales et dont leur confluence a constitué l’approche sans laquelle on ne pourrait pas comprendre les décisions de la CDI.

A) Tendance des juristes occidentaux et latino-américains

Pour les juristes occidentaux et latino-américains, il est nécessaire d’attacher une importance à la pratique des Etats issus de la décolonisation (ce que l’on peut appeler les précédents récents), mais il serait arbitraire de négliger les précédents anciens, c’est-à-dire les cas classiques de mutation de la souveraineté territoriale ayant surtout eu lieu en Europe occidentale ou en Amérique latine37.

Ainsi, le Professeur Ago, membre de la CDI, tout en souscrivant à l’idée de consacrer une attention particulière aux problèmes que pose aujourd’hui la naissance d’une série impressionnante d’Etats nouveaux, n’hésite pas à affirmer que « le problème de la succession d’Etats n’est pas si différent aujourd’hui de ce qu’il était à d’autres époques »38.

Plus tard, il confirma sa position en estimant « qu’il y a, dans la question des problèmes spécifiques des Etats nouveaux, une équivoque à dissiper. Le phénomène de la décolonisation, qui s’est manifesté autrefois en Amérique latine et plus récemment en Asie et en Afrique, a eu une influence importante sur la matière de la succession d’Etats en droit international général. Il ne semble pas qu’il ait conduit à l’apparition d’un double régime de succession… »39.

Waldock, aussi, se demande dans son premier rapport sur la succession d’Etats aux traités si « l’on sert une fin utile en faisant en l’occurrence une nette distinction entre les problèmes des Etats anciens et ceux des « Etats nouveaux ». Après tout, lorsqu’un Etat naît, les problèmes de succession qui se posent en matière de traités son fondamentalement des problèmes qui intéressent les Etats anciens non moins que le nouvel Etat… »40.

Pour Waldock, on ne doit en aucun cas faire une distinction marquée entre la valeur des précédents anciens et des précédents récents, sinon l’œuvre de codification de la succession d’Etats en matière de traités risquerait d’aboutir à la rupture ou à l’échec. Par contre, les juristes afro-asiatiques veulent aborder le problème d’une autre manière.

B) Tendance des juristes afro-asiatiques

Les juristes ressortissants de ces deux continents estiment qu’il est nécessaire d’avoir une vision dynamique du droit international car « la codification de la succession d’Etats relève plutôt du développement du droit international et les précédents anciens ne présentent qu’un intérêt limité, voire nul, pour la solution des problèmes de successions postérieurs à la Seconde Guerre Mondiale »42. Cette tendance s’était clairement manifestée dans le premier rapport de Bedjaoui sur la succession d’Etats et les droits et obligations découlant de sources autres que les traités43 et dans la discussion qui s’en est suivie au sein de la CDI44.

Si ce rapport a été fait dans le contexte des dettes, biens publics, finances et archives (etc.), il n’en demeure pas moins qu’il démontre la méthodologie adoptée par les juristes afro-asiatiques pour la succession d’Etats dans sa globalité.

Bedjaoui notait dans son rapport précité que « de tous les cas de succession d’Etats, ce sont ceux qui naissent de la décolonisation qui doivent principalement retenir l’attention. Si l’on fait une typologie des régimes successoraux, dans le cadre de cette méthode de travail, cette classification offre en même temps la possibilité d’établir un ordre de priorité. Entre la succession du type classique et celle issue de l’abolition du régime colonial, la priorité devrait être donnée à la seconde »45. Les réactions de faveur à cette proposition ne se firent pas attendre. D’abord, Yasseen, fidèle à une de ses anciennes idées46 sur la place privilégiée à donner au phénomène de la décolonisation dans le cadre de la succession d’Etats, considère qu’à l’époque actuelle le mouvement d’émancipation des peuples est devenu massif et pose les problèmes avec une telle différence de degré qu’il en résulte peut-être une différence de nature, ceci par rapport aux approches de successions antérieures à la Seconde Guerre Mondiale. Autrefois, observe-t-il, « … au xixème siècle par exemple l’émancipation avait un caractère bilatéral. Aujourd’hui, la décolonisation n’est plus seulement une affaire entre la métropole et le peuple qui se libère, elle devient un problème international car elle est un des buts de la communauté internationale et elle s’opère sous son contrôle. Ce rôle de la communauté internationale est à la base des règles générales de la succession d’Etats dans le domaine de la décolonisation […]. La succession d’Etats dans le cadre de la décolonisation mérite donc une étude particulière »47.

Tabibi a soutenu la même idée, tout en situant le problème dans le cadre de l’indépendance économique des pays nouvellement indépendants48.

Enfin, il convient d’indiquer la réaction beaucoup plus nuancée de M. Nagendra Singh qui, tout en rappelant qu’il faut veiller à une certaine uniformité du droit international en évitant de donner naissance à des écoles rivales49 sur la question de la succession d’Etats, reconnaît que ces derniers temps, ce sont en grande partie les problèmes des nouveaux Etats qui ont fait progresser la pratique et la jurisprudence en matière de succession d’Etats après la décolonisation50. C’est aussi cette position nuancée et non catégorique qu’adoptèrent les juristes des Etats socialistes.

C) Tendance des juristes des Etats socialistes

La troisième tendance est donc avancée par les juristes des Etats socialistes. En général, ils prirent une position intermédiaire entre les deux précédentes.

Pour eux, on ne peut pas nier les situations précédentes. Ainsi, pour Bartos (Yougoslavie) : « l’émancipation de l’Amérique latine, l’unification de l’Italie et celle de l’Allemagne ainsi que la dissolution de l’Empire ottoman ont fourni tant d’exemples et de solutions en matière de succession d’Etats qu’on ne peut pas ne pas en tenir compte… »51. Ces exemples historiques le poussent à conclure que « … le premier devoir est l’étude du passé, ne serait-ce que pour découvrir dans quelle mesure il est possible de reprendre ou si nécessaire d’abandonner ce qu’il nous offre, afin de satisfaire aux besoins de la communauté actuelle »52.

En allant dans le même sens Ouchakov (URSS) pense que : « … il convient d’examiner en premier lieu les problèmes particuliers aux nouveaux Etats nés de la décolonisation, bien qu’il y ait des problèmes généraux communs à tous les Etats nouveaux »53.

Si d’une part les juristes socialistes estiment que « le premier devoir est l’étude du passé », d’autre part, ils considèrent que le droit international ne constitue pas un dogme immuable, au contraire, il doit s’adapter aux exigences de la société internationale54. A ce point de vue, ils rejoignent la thèse afro-asiatique. Pour finir il est utile de signaler qu’historiquement la doctrine soviétique de la succession d’Etats a évolué dans plusieurs sens. Par exemple, Kozenikov55 admet la continuité des traités alors que Korovin56 adopte une position intermédiaire.

En conclusion, nous pouvons dire que l’interaction de ces trois courants à la recherche d’un compromis acceptable par tous a abouti à l’approche souple de la CDI ; cette dernière se reflète dans la solution qu’elle a adoptée.

4) L’économie de la Convention de Vienne sur la succession d’Etat en matière de traités

La première question qui s’est posée aux membres de la CDI et aux Gouvernements lorsqu’ils ont abordé la codification de la succession d’Etats a été de savoir à quel genre d’instrument juridique cette codification donnerait lieu ?

Tout d’abord, ils ont été tentés d’établir un « code déclaratif » ou « des règles types » sur la succession d’Etats, cependant, le choix définitif a été porté sur l’élaboration d’une convention multilatérale car, comme l’a dit la CDI : « L’expérience montre qu’une convention sera probablement considérée comme revêtue d’une plus grande autorité et qu’elle aura donc une plus grande force de persuasion. En outre, une convention a des effets importants en ce qu’elle réalise un accord général sur la teneur du droit qu’elle codifie, et qui devient ainsi le droit coutumier admis en la matière »57.

Le processus d’élaboration de cette Convention jusqu’à son adoption a été extrêmement long58. Par ce travail de longue haleine, la CDI et par la suite les Conférences sont parvenues à décanter les concepts, à les clarifier puis à faire accepter progressivement les règles internationales en découlant par les Gouvernements.

Cette Convention apparaît comme étant basée essentiellement sur le projet d’articles adopté par la CDI en 197459. « Elle constitue à la fois un développement progressif et une codification du droit international [car] elle a énoncé des règles existantes mais elle a aussi établi des règles nouvelles »60.

Elle renferme cinquante articles et se compose d’un préambule, de cinq parties et d’une annexe. C’est dire que les domaines couverts par cette Convention sont variés et pour être plus précis sur la division suivie signalons que la première partie énonce les dispositions générales, la deuxième partie est consacrée à la succession concernant une partie de territoire, la troisième se rapporte aux Etats nouvellement indépendants, la quatrième à l’unification et à la séparation d’Etats. Enfin, la cinquième a trait aux dispositions finales et l’annexe donne la procédure de conciliation (art. 42 et s. de la Convention).

Si nous nous penchons sur l’économie de cette Convention, nous constatons l’existence de deux grandes catégories d’Etats auxquels correspondent deux grandes règles ayant une portée juridique différente : ce sont d’une part les Etats nouvellement indépendants dont la création résulte de la décolonisation auxquels la règle de la table rase des traités est appliquée61 et d’autre part, les Etats nés d’une unification ou dissolution d’Etats (qu’on appelle aussi « cas historiques » de succession d’Etats) auxquels ont a choisi d’appliquer le règle de la continuité62 des traités passés par l’Etat prédécesseur. Faisant la part des choses, Yasseen est d’avis qu’en ce qui concerne « les Etats nouvellement indépendants, la pratique générale résulte du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et suit par conséquent la règle de la table rase. Par contre lorsqu’il s’agit d’union et de séparation d’Etats qui ne résultent pas de la décolonisation la pratique internationale en matière de traités s’inspire plutôt de la règle pacta sunt servando et favorise la continuité des relations internationales »63.

D’après certains délégués gouvernementaux à la Conférence, les raisons d’être du principe de non succession adoptée pour la première catégorie est la suivante : Les Etats nouvellement indépendants n’ont pas participé à la politique de l’Etat colonial notamment en ce qui concerne la négociation et la conclusion des traités, de ce fait même, une fois l’indépendance acquise ils peuvent se prévaloir de la règle de la table rase ; par contre, pour la deuxième catégorie, on admet que si la continuité ipso jure des traités a été consacrée par la Convention, c’est qu’on est parti du principe que ces Etats successeurs n’étaient pas étrangers à l’action de parlement et à l’action diplomatique de l’Etat prédécesseur.

Cependant, entre ces deux grandes règles (table rase et continuité), la Convention pose des principes correctifs. Le premier revêt l’aspect d’une succession obligatoire64, quant au second il est basé sur l’expression de la volonté du successeur et de son partenaire65. Examinons-les sommairement.

Tout d’abord, voyons, la succession obligatoire ou nécessaire. Aux termes de la Convention, l’Etat successeur ne peut pas faire table rase des traités de frontière ou ceux qui instituent des régimes territoriaux (art. 11 et 12 de la Convention), car ces derniers sont incorporés à la terre. De prime abord, ceci a soulevé la crainte des pays du tiers monde de voir les pays occidentaux englober implicitement dans la succession obligatoire aux traités de frontière et régimes territoriaux les bases militaires et les ressources naturelles. Cette méfiance fut vite dissipée lorsqu’on a introduit dans la Convention un paragraphe supplémentaire à l’article 12 confirmant que « les dispositions du présent article ne s’appliquent pas aux obligations conventionnelles de l’Etat prédécesseur prévoyant l’établissement de bases militaires étrangères sur le territoire auquel se rapporte la succession d’Etats » (article 12, paragraphe 3), ainsi qu’un autre article supplémentaire concernant la souveraineté permanente sur les richesses et les ressources naturelles, disposant que « rien dans la présente Convention n’affecte les principes du droit international affirmant la souveraineté permanente de chaque peuple et de chaque Etat sur ses richesses naturelles » (article 13 de la Convention)66.

La succession volontaire est le deuxième principe correctif à la règle de la table rase. Il est basé sur la libre volonté de l’Etat successeur qui doit nécessairement tenir compte de la manifestation de la volonté des Etats tiers ayant été liés par des traités à l’Etat prédécesseur. C’est la volonté contractuelle ou synallagmatique.

L’évolution de la conception de la succession d’Etat et sa problématique étant posées, précisons le plan que l’on suivra pour développer notre étude. Celle-ci comprendra deux parties :

La première partie est concentrée sur l’étude de la succession d’Etats en matière de traités lors de l’apparition d’un nouvel Etat. Elle sera divisée en trois titres principaux :

      • Le titre I sera consacré à la pratique ancienne. On verra, dans une première phase, de quelle manière ont été résolues les successions antérieures à la Première Guerre Mondiale. Dans une deuxième phase, on s’interrogera sur l’orientation de la pratique postérieure à la Guerre de 1914-1918. Plus précisément, on se penchera sur la pratique des nouveaux Etats issus de la double Monarchie austro-hongroise, de l’Empire russe et même de l’Empire britannique (cas de l’Irlande) pour déterminer si ces Etats ont adopté une solution de continuité ou de table rase des traités auxquels ils ont succédé et si leur attitude correspond ou non à la pratique plus ancienne.
      • Le titre II sera réservé à la succession d’Etats en matière de traité lorsque les Etats successeurs naissent à la suite du processus de décolonisation postérieur à la seconde Guerre Mondiale. Nous considèrerons globalement la Convention de 1978 par rapport au principe fondamental qu’est le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes pour les Etats nouvellement indépendants. De ce droit la CDI, puis la Conférence, ont dégagé la règle de la table rase des traités. Il s’agira de savoir quelle est la signification exacte de cette règle et s’il y a lieu de l’appliquer à toutes les catégories de traités conclus par l’Etat prédécesseur. Pour ce faire, on passera en revue la succession à plusieurs actes juridiques internationaux : les traités bilatéraux, les traités multilatéraux, les accords de dévolution et déclarations générales de continuité ainsi que les traités de frontières et autres traités territoriaux.
      • Le titre III concerne le problème des sécessions. On abordera la question des sécessions effectives qui se sont imposées à la communauté internationale (Singapour et Bengladesh) pour déterminer les règles de succession adoptées dans ces cas pratiques modernes.

Quant à la deuxième partie, elle traitera essentiellement des cas de mutations territoriales classiques et de la manière dont la CDI et la Convention de 1978 règlent les successions découlant de ces mutations territoriales.

      • Dans un premier chapitre nous analyserons la question des annexions et les problèmes qu’elles posent en droit international et surtout le sort qui a été réservé aux traités après ce genre de mutation territoriale.
      • Dans un deuxième chapitre, on se penchera, à travers des exemples tirés de la pratique, sur l’effet d’une unification d’Etats sur les traités.
      • Finalement, dans un chapitre III, on examinera les règles de succession aux traités lorsque ces unifications d’Etats sont dissoutes : ce sont les dissolutions d’Etats.
 
 
 
 
 
© Graduate Institute Publications, 1984
 
 
 
 

 

Notes:

1 cf. Marcoff, M.G., Accession à l’indépendance et succession d’Etats aux traités, éd. Universitaires, Fribourg (Suisse) 1969, p. 11. Voir aussi Caflisch, L., « The law of state succession. Theoritical observations », Netherlands international law review, 1963, pp. 351-366.

2 cf. Gidel, Des effets de l’annexion sur les concessions. L. Larose, Paris, 1904, p. 20 ; Castrén, E.J.S., « Aspects récents de la succession d’Etats », RCADI, 1951, vol. i, tome 78, p. 398, § 9 et Rousseau, Ch., Droit international public, tome III, Ed. Sirey, Paris, 1977, p. 339.

3 Fauchille, P. Traité de droit international public, tome I. A. Rousseau, Paris, 1922, p. 391, No, 234.

4 Les auteurs donnent à cette première théorie le nom de « succession universelle de droit privé », cf. Marcoff, M.G., op. cit., p. 12.

5 Huber, M. Die Staatensuccession, Duncker und Humblot, Leipzig, 1898, 319 p.

6 cf. Martens, F. de. Traité de droit international, tome I, Ed. A. Marescq Aine, Paris, 1883, p. 368 et Marcoff, M.G., op. cit., p. 12.

7 Grotius, H., Le droit de la guerre et de la paix, tome II, traduit par M. de Courtin, Ed. Adrian Montjens, La Haye, 1703, chapitre IX, § XII, p. 221 et chapitre IV ; voir aussi tome III, chapitre VIII, notamment le § IV, pp. 161-163. Pour une connaissance approfondie de la pensée de Grotius en matière de succession d’Etats cf. Felchenfeld, E., Public debts and state succession, Mac Millan, New York, 1931, p. 25 et s. et Pereira, G.A., La succession d’Etats en matière de traités, Ed. Pedone, Paris, 1969, pp. 24-25.

8 Nous pensons à Samuel Puffendorf, Emmerich de Vattel et Christian Wolf : une analyse approfondie de leur théorie se trouve exposée dans les ouvrages de Gidel, G., op. cit. pp. 20-35, Marcoff, M.G., op. cit., pp. 12-14 et Pereira, G.A., op. cit. pp. 23-26.

9 Fauchille, P., op. cit., p. 391, Marcoff, M.G., op. cit., p. 12.

10 Martens, F. de., op. cit., p. 12.

11 La définition communément admise en droit civil est la suivante : « l’acceptation sous bénéfice d’inventaire est un parti intermédiaire entre l’acceptation pure et simple et la renonciation. Elle présente deux avantages principaux : l’héritier n’est des dettes et charges que sur l’actif qu’il recueil et il ne confond pas ses biens avec ceux du défunt ». cf. Ripert, G. et Boulanger, J., Traité de droit civil de planiol, 4ème éd., tome III, L.G.D.J., Paris, 1951, p. 763.

12 voir supra, p. 21., note 2.

13 Gidel, G., op. cit., p. 20 et Fauchille, P., op. cit., p. 392.

14 Castrén, E.J.S., op. cit., p. 399 et O’Connel, D.P., The law of state succession, Cambridge University Press, 1956, p. 7.

15 Appleton, H., Des effets des annexions de territoire sur les dettes de l’Etat démembré ou annexé, Ed. L. Larose, Paris, 1895, p. 38, § 14 ; Rivier, A., Principes du droit des gens, tome 1, Ed. A. Rousseau, Paris, 1896, p. 70. Ces deux auteurs reprochent à la comparaison avec l’hérédité d’être « boiteuse ». Pour eux, « l’Etat absorbé perd seulement la souveraineté, il ne perd pas la vie. Il est déchu et non disparu » (Appleton, H., ibid., p. 32). Mais M. Huber alla plus loin en montrant la différence fondamentale qui existe entre la succession de droit privé et la succession de droit public (cité par Gidel, G., op. cit., pp. 49-56).

16 Fauchille, P., op. cit., p. 393

17 Afin de déterminer les conséquences de ce deuxième système, M. Bluntschli, se basant sur des cas d’annexion du xixe siècle, s’est exprimé en ces termes : « Lorsqu’un Etat est annexé à un autre Etat, le premier cesse d’exister, mais son anéantissement n’entraîne pas nécessairement l’extinction de ses droits et de ses obligations vis-à-vis des autres Etats, parceque le peuple et le territoire de cet Etat continuent en substance à exister et n’ont fait que passer dans l’autre Etat. Ces droits et obligations passeront même à l’autre Etat, toutes les fois que le maintien sera possible et pourra être concilié avec le nouvel ordre des choses » ; voir Bluntdchli, J.G., Le droit international codifié, traduit par M.V. Lardy, Librairie de Guillaunin et Cie, Paris, 1895, p. 75.

18 Marcoff, M.G., op. cit., p. 17.

19 Voir à ce propos la critique pertinente de G. Gidel, op. cit., p. 76.

20 Dans un condensé de sa doctrine M. Huber avance que la « succession d’Etat à Etat est toujours une succession de droit social, puisque l’Etat est toujours une personne représentant une collectivité. En d’autres termes, cette succession implique une extension de la personnalité juridique du successeur sur une personnalité jusque là étrangère ou sur une partie de cette personnalité », cité par GIDEL, G., op. cit., pp. 55-56.

21 Terme employé par Waldock dans ses rapports sur la succession d’Etats aux traités, A.C.D.I., 1968, vol. ii, p. 12 et A.C.D.I., 1969, vol. II, p. 50 ; cf. aussi l’intervention de M. Tammes, A.C.D.I., 1968, vol. i, p. 113, § 45 et s.; De même, le Professeur O’Connel, D.P. dans son livre « The law of state succession, op. cit., p. 9, dit « change of sovereignty implies nothing more than the substitution of one such competence for another. The successor state in no sens « continues » the sovereignty of its predecessor […] ».

22 Strupp. K., Eléments du droit international public (universel, européen, américain). Ed. A. Pedone, Paris, 1927, pp. 55-56 et « Règles générales du droit de la paix », RCADI, 1935, vol. i, tome 47, pp. 471-487.

23 Cavaglieri, A., « Effets juridiques des changements de souveraineté territoriale », Annuaire de l’Institut de Droit International, 1931, vol. I, p. 221 et « Règles du droit de la paix », RCADI, 1929, vol, 1, p. 378.

24 cf. Cavaglieri, A., « Efets juridiques… », op. cit., p. 221 et « Règles du droit… », op. cit., p. 378. Les subtilités de la théorie négative sont expliquées par Fauchille, P., (op. cit., pp. 393-394), de la manière suivante : « Quand un Etat est annexé, incorporé, réuni ou soumis à un autre, il y a en cause non pas une question de propriété, mais une question de souveraineté ; or, si la propriété peut faire l’objet d’une cession, et notamment d’une succession, il n’en est pas de même de la souveraineté, car la souveraineté, qui est le droit de commander sur un territoire déterminé, est éminemment subjective : chaque Etat l’exerce comme il l’entend et suivant sa propre conception ». L’on voit vite la conséquence de cette thèse : c’est la possibilité pour l’Etat successeur de décider que les obligations contractées par son prédécesseur disparaissent en totalité. Cependant, comme chez Cavaglieri, l’on a assorti le principe du rejet des obligations de l’Etat prédécesseur de quelques exceptions, par exemple ; respect des droits acquis, inviolabilité de la propriété privée etc., cf. aussi Gidel, G., op. cit., p. 60 et s. et Perrinjacquet, J., « Des annexions déguisées de territoires », RGDIP, 1909, tome XVI, pp. 362-363

25 Le point de vue de Schönborn est expliqué par Pereira, G., op. cit., p. 26.

26 cf. Strupp, K., « Les règles générales… », op. cit., p. 473.

27 cf. Waldock.ACDI, 1970, vol. ii, p. 35. Le principe négatif a été en effet défendu principalement par MC Nair, A.D., The law of treaties : British practice and opinions, Ed. rev., Clarendon Press, Oxford, 1961, pp. 600-606 ; Fauchille, P., op. cit., pp. 347-348 ; Strupp, K., op. cit., pp. 57-58 ; Cavaglieri, A., « Effets juridiques… », op. cit., p. 221 et s. et O’Connel, D.P., op. cit., p. 32.

28 cf. cf. Rousseau, Ch., op. cit., pp. 339-340

29 cf. Marcoff, M.G., op. cit., pp. 20-21 et Nguya-Ndila, C, Indépendance de la République Démocratique du Congo et les engagements internationaux antérieurs, Université de Kinshasa, 1971, p. 132.

30 Il en existe évidemment d’autres. On peut signaler :
1) La théorie de l’acte contraire qui postule la permanence de la règle du droit tant qu’elle n’a pas été abrogée selon un processus identique au processus prévu pour son élaboration. Ce qui signifie, dans ces conditions, que la simple mutation territoriale n’entraîne pas l’abrogation des traités qui continuent à produire leurs effets. La règle serait alors celle de la succession pour toutes les obligations, cf. Challey, P., La nature juridique des traités internationaux selon le droit contemporain, Recueil Sirey, Paris, 1932, pp. 43-47, 68 et 120-130. Cf. aussi Pereira, G.A., op. cit., pp. 38-39 et Nguya-Ndila, C, op. cit., p. 134.
2) La théorie de la succession « partielle ». Dans ce cas c’est précisément l’ampleur de la succession qui est prise en considération. En d’autres termes, on tient principalement compte du « nombre de rapports juridiques à l’égard desquels se produit la substitution d’un sujet à l’autre ». Contrairement à la théorie de la « succession ” totale ” où la substitution d’un sujet à un autre intervient dans la totalité des rapports juridiques ». On ne peut parler de succession partielle que « lorsque la substitution s’opère à l’égard d’un droit ou d’une obligation considéré en particulier et également lorsqu’il s’agit d’un complexe de droits et d’obligation plus ou moins déterminés », cf. Udina, M., « La succession d’Etats quant aux obligations internationales autres que les dettes publiques », RCADI, 1933, vol. ii, tome 44, p. 678. Pour plus de détails, voir aussi Marcoff, M.G., op. cit., p. 25 et s.
3) Enfin nous pouvons mentionner la théorie néo-universaliste prônée par Kristen J. qui est cité par Marcoff, M.G., op. cit., p. 42. Cette théorie s’oppose fondamentalement à la conception négative de la succession et opte pour la succession ipso jure dans les droits et obligations internationaux assumés par l’Etat précédent. Cependant, cette théorie admet une exception, c’est la non succession « aux droits et obligations qui contredisent les principes supérieurs de la conservation de la paix et de l’amitié entre les peuples ».

31 cf. ACDI, 1968, vol. ii, 1er rapport sur la succession d’Etats en matière de traités de Waldock, p. 92.

32 Par exemple, l’article 775 du code civil français dispose que nul n’est tenu d’accepter une succession qui lui est échue.

33 Udina, M., « La succession d’Etats quant aux obligations internationales autres que les dettes publiques » RCADI, 1933, vol. ii, p. 674. Ensuite, l’auteur va plus loin dans sa pensée en estimant que le maintien des engagements antérieurs peut aussi se justifier par un accord de volonté entre Etats intéressés, de sorte que, à côté d’une « succession légitime », c’est-à-dire se produisant en vertu d’une norme générale, il y aurait une « succession contractuelle » résultant de la manifestation concrète de la volonté des intéressés (cf. ibid., p. 675).

34 Plus loin Kelsen finit pas confirmer que « … les droits et obligations que le successeur peut acquérir du prédécesseur en vertu d’un traité n’entrent pas ici en ligne de compte, mais bien les obligations et les droits qui passent de l’Etat prédécesseur à l’Etat successeur sans qu’ils aient conclu un traité concernant la transmission des droits et obligations », cf. Kelsen, H. « Théorie générale de droit international public, problèmes choisis », RCADI, 1932, vol. iv, pp. 325-326.

35 cf. notre annexe I, article 2, alinéa b.

36 « Ces droits et obligations en matière de traités découlant d’une « succession d’Etats » telle qu’elle est définie dans le projet et en conférence doivent donc être dégagés des diverses dispositions figurant dans les articles eux-mêmes », cf. ACDI, 1974, vol. ii, pp. 171-172, § 50.

37 C’est M. Ruda (Argentine) qui fut le défenseur de cette idée, en effet, il est d’avis que : « … la Commission, lorsqu’elle entreprendra de codifier les règles en la matière, devrait avoir à l’esprit tout l’héritage d’expériences qu’ont laissé les problèmes de succession d’Etats résultant de la décolonisation y compris celle de l’Amérique latine… », ACDI, 1968, vol. i, p. 131, § 53. Voir aussi M. Amado (Brésil), ibid, p. 134, § 33.

38 cf. Ago, R., ACDI, 1963, vol. i, p. 206, § 16, soutenu par Waldock, ACDI, ibid, p. 207, § 26. Pour une opinion contraire, voir Verdross, ACDI, ibid, p. 20, § 11.

39 cf. Ago.R., ACDI, 1968, vol. i, p. 120, § 68. De même, M. Kearney (USA), allant dans le sens du Professeur Ago, est d’avis qu’en matière de succession d’Etats, la CDI ne doit pas faire abstraction des règles traditionnelles, sinon elle perdra le bénéfice d’une longue et précieuse expérience, ce qui compliquera les travaux et en diminuera l’utilité… La Commission devra donc profiter de toute l’expérience qui s’offre à elle et fonder toutes les règles qu’elle formulera sur l’étude de la pratique existante et des principes de droit en vigueur. Si elle ne s’occupe que de certains aspects déterminés de la succession d’Etats, elle élaborera une série de règle éphémères et mal équilibrées, cf, ACDI, 1968, vol. i, p. 122, § 7. Pour M. Castañeda (Mexique), « Les règles d’autrefois doivent être mise en harmonie avec les besoins contemporains », ACDI, ibid, p. 129, § 26, voir aussi M. Albonico (Chili), ACDI, ibid., p. 118, § 44 ; M. Castren (Finlande), ACDI, ibid, p. 124, § 27 et M. Eustathiades (Grèce), ibid, p. 130, § 41.

40 cf. Waldock, ACDI, 1968, vol. ii, p. 91, § 15 ; cf. aussi ACDI, 1968, vol. i, p. 123, § 12.

41 principalement Bedjaoui (Algérie), Nagendra Singh (Inde), Tabibi (Afghanistan) et Yasseen (Irak).

42 cf. Bardonnet, D., La succession d’Etats à Madagascar (succession au droit conventionnel et au droit patrimoniaux), Ed. R. Pichon et R. Durand-Auzias, Paris, 1970, p. 12.

43 cf. Bedjaoui, M., ACDI, 1968, vol. ii, pp. 100-101, § 30 et s.

44 ACDI, 1968, vol. i, p. 108, § 69, p. 123 et pp. 130-131, § 45 à 50.

45 cf. ACDI, 1968, vol. ii, p. 101, § 32. Ensuite, il systématisa sa pensée sur la spécificité de la décolonisation comme type de succession d’Etats dans un cours donné à l’Académie de Droit International de la Haye, où il avança beaucoup d’arguments en faveur de la différence qui existe entre la succession d’Etats opérée en Europe à partir de la fin du xixe siècle et la succession après la décolonisation : notamment les problèmes propres au système colonial tels que les rapports métropole-colonie ; la différence de civilisation ; les ordres juridiques différents. Pour mieux rendre cette différence, il fit une analyse approfondie de la décolonisation comme phénomène sociologique et mondiale encouragé par la communauté internationale, c’est-à-dire par les principes du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, du droit inaliénable sur les ressources naturelles, de la codification du droit international touchant aux relations amicales et à la coopération entre les Etats etc., cf. Bedjaoui, M., « Succession d’Etats dans les nouveaux Etats », RCADI, Sijthoff, Leyden, 1970, vol. ii, tome 130, pp. 457-585.

46 cf. ACDI, 1963, vol. 1, p. 208, § 35 à 37.

47 cf. Yasseen, M.K., ACDI, 1968, vol. i, p. 123, § 19.

48 cf. Tabibi, A., ACDI, ibid, p. 130 § 45.

49 Il vise par là les tenants de l’étude des précédents anciens et les partisants de l’étude des précédents récents.

50 cf. Nagendra Singh, ACDI, ibid, p. 108 e 131, § 69 et 48-50.

51 Bartoš, M., ACDI, 1963, vol. I, p. 208, § 32.

52 Bartoš, M., ibid, p. 208, § 33.

53 Ouchakov, N., ACDI, 1968, vol. 1, p. 126, § 57.

54 Bartoš. M., ACDI, 1963, vol. II, p. 307 voir aussi ACDI, 1968, vol. I, p. 106. Quant à Sahovic (Yougoslavie) qui a été élu membre de la CDI en 1974, il a développé des idées qui s’apparentent plutôt a la thèse du tiers-monde.

55 cf. Kozenikov. F.I., Sovetskoie gosudarstvoi meidunarodnoie pravo, 1917-1947 (L’Etat Soviétique et le droit international), Moscou, 1948, p. 256, cité par Dutoit, B., Coexistence et droit international à la lumière de la doctrine soviétique. Ed. Pedone, Paris, 1966, p. 58. Pour Kozenikov, après 1917, l’URSS a seulement répudié « les traités secrets et publics de pillage, les traités inégaux et les obligations qui résultaient de la violence exercée par le pouvoir des classes dominantes », ibid., p. 58. De même, dans un manuel de droit international édité sous sa direction en 1966, il s’est prononcé en faveur de l’identité et la continuité de l’Etat révolutionnaire en tant qu’un et même sujet de droit international, tout en admettant certaines différences avec l’Etat précédent, en l’occurence l’Empire tsariste. Pour une étude détaillée de cette doctrine cf. Marcoff, M.G., op. cit., pp. 31-32 et Nishry, E., La conception soviétique du droit international, mémoire de diplôme de l’Institut Universitaire de Hautes Etudes Internationales, Genève, 1962, pp. 6-11.

56 L’attitude intermédiaire est exposée dans le manuel de droit international édité par l’Académie des Sciences de l’URSS, sous la direction de Korovine, E.A., « Mejdounarodnoé pravo » (droit international), Gosjurizdat, Moscou, 1957, pp. 120 et s., cité par Marcoff, M.G., op. cit., p. 31.

57 cf. ACDI, 1974, vol. II, 1ere partie, p. 174, § 63.

58 La CDI s’est déjà penchée sur le problème en 1962, puis, faute de temps, l’a abandonné pour le reprendre de 1968 à 1974. Ensuite, sur la base du projet définitif de 1974, deux Conférences ont été tenues à Vienne pour discussion et adoption de ce dernier.

59 Voir annexe II.

60 cf. Yasseen, M.K., « La Convention de Vienne sur la succession d’Etats en matière de traités », AFDI, 1978. p. 72 ; ajoutons que la part de la codification et du développement progressif sera mise en valeur lors de l’étude détaillée au cours des chapitres qui suivent notamment lorsque nous examinerons les articles les plus importants de la Convention.

61 cf. la partie III de la Convention, notamment l’article 16 et s. ; c’est ce que l’on traitera en détail dans la première partie de notre présente thèse, cf. infra, titre II, pp. 49 et s.

62 cf. la partie IV de la Convention, article 31 et s., pour les unifications et dissolutions d’Etats voir infra, 2ème partie, chapitre II, pp. 186 et s.

63 cf. Yasseen, M.K., op. cit., p. 59.

64 Article 11 et 12 de la Convention (régimes territoriaux), cf. infra, p. 107.

65 cf. article 24, la succession d’Etats aux traités bilatéraux, infra, p. 67 et s.

66 cf. infra, p. 59.